Andoria

Andoria et la mission à la jonction des mondes

Veuillez noter que seule la première partie est publiée en ligne.

PDF pour illustrateur : Andoria à la jonction des mondes

BRÈVE PRÉSENTATION DE GREG ET FRANK

Greg, l’ami d’Andoria rencontré lorsqu’ils étaient au collège, se distingue de bien des façons. Entre autres il exprime ses émotions librement. Sa fine chevelure bouclée foncée, son grand front et ses yeux sincères lui octroient un air sympathique. Grégoire, Greg pour les amis, est informaticien et change constamment d’emplois. Il est animé par une quête difficile à cerner, une constante recherche d’un idéal, d’un zeste, d’une passion, voire d’une raison de vivre. Pianiste de formation, Greg joue aussi l’harmonica. De son instrument émerge une musique profonde, lancinante, envoûtante.

Frank, flegmatique et laconique, beau mec longiligne aux cheveux blonds raides et courts, est le copain intellectuel et pratique d’Andoria. Avec ses talents d’ingénieur il a l’aptitude de réparer n’importe quoi. Guitariste à ses heures, il joue de la lyre comme un ange. Accompagné d’Andoria au piccolo, à la flûte ou au chant, et de Greg, le trio fait de petits concerts très courus au café du coin.

 

ANDORIA À LA JONCTION DES MONDES

Bien douillette dans son lit, Andoria dort. Un songe lui révèle un message : accompagnée de deux hommes qu’elle connaît, elle fera un voyage sur une terre inconnue. Ils porteront sur le dos le sort des humains. Mais après tout, un rêve n’est qu’un rêve. Non ?

Non. Vers la fin d’une journée tout à fait ordinaire, lors de sa promenade santé, Andoria s’arrête pour contempler le clair de lune qui éclabousse le fleuve d’une myriade de diamants. Elle se laisse imbiber par la magie du reflet invitant. Un état de contemplation lui ouvre l’esprit. Elle demeure consciente tout en étant dans un état pseudo-méditatif. Confiante, elle se sent apte à faire face à toute éventualité. Une impression la saisit d’emblée et la fait frissonner. Des pensées étrangères aux siennes s’immiscent dans sa tête. On réclame en toute urgence, son intervention.
— De quoi s’agit-il?
Tout lui est expliqué. Ne résistant jamais à une aventure, trop intriguée pour ignorer ce défi surprenant, Andoria acquiesce en hochant la tête. Elle fonce chez ses amis tout en restant calme devant ce mode de communication inusité et intrusif.

Animée par une énergie nouvelle, elle fait irruption dans le salon de Greg où ce dernier et Frank discutent, bière à la main.
À haute voix, elle déclare d’un ton monocorde.
— Écoute Greg, veux-tu jouer? Tu es un chevalier et je suis une prêtresse.
Le regard intelligent de Frank pointe en direction d’Andoria.
— Frank, tu fais partie de ce dessein. Elle continue.
— N’ayez aucune crainte, vous saurez d’instinct quand agir et réagir. Jouons !
Les deux amis la regardent d’un air dubitatif un tantinet moqueur. Mais comme ils s’emmerdaient un peu, ils laissent Andoria faire son numéro. Quant à elle, sans trop y croire non plus, elle continue sa présentation théâtrale.

— Toi l’ami jure-le-moi, en parlant à Greg, tu accompliras une mission et tu iras jusqu’au bout! Aie foi en moi. Tu pars pour une destination intemporelle.
Puis elle s’adresse aux deux en remuant les bras dans d’amples mouvements pour appuyer ses paroles.
— S’il y a quelqu’un à la porte, vous l’ignorez, s’il y a un appel plus urgent, vous l’ignorez complètement, car la seule réalité est la fenêtre que je suis en train de créer.
C’était en vérité une bien belle improvisation.
— Nous ne te connaissions pas ce talent de comédienne Andoria ! reconnaît Greg.
— Chut ! réplique-t-elle promptement.
Greg, bien ancré dans son fauteuil, de son air narquois regarde de biais Frank qui est de bonne séance. Ce dernier répond à son regard en haussant une épaule nonchalante. Greg décide d’embarquer en déposant un genou au sol.
— Je le fais, car tu me l’as demandé, dit-il d’un ton martial et lent, ses yeux contenant toujours une expression incrédule et amusée.
En lui souriant d’un air coquin Andoria étale un jeté sur ses propres épaules.
— Voici ma mante protectrice, je suis la grande prêtresse.
— Plutôt oui, réplique Greg dans un rire étouffé.
— Toi ! poursuit-elle amicalement mais en le pointant du doigt, je vais te dévoiler ton nom, le verbaliser sans raison serait profanation. Dans la réalité où tu seras ordonné, les noms transportent un pouvoir. Lors de l’appellation de ton nom les changements suivants s’opéreront : tu acquerras la perception liée à la résonance du nom, tes sens s’altéreront et s’aiguiseront à la vitesse de tes pensées. C’est ainsi que tu seras sacré chevalier. Ton nom est...

Dehors, le jour n’étant plus, l’espace sidéral dévoile les étoiles. L’air qu’elle respire sous ses sourires retenus devient une énergie transcendée. Une lumière vibrante commence à l’envelopper. Subjugués les deux amis témoins de cette manifestation, la regardent sans broncher. Elle empoigne le balai qui traîne, le tient bien dressé à bout de bras.
— Mon sceptre amplifie au centuple ma volonté d’action dirigée. C’est le temps de faire de toi un chevalier.
Cette fois-ci les deux copains ont les yeux figés sur elle, sur sa luminescence. Ils sont captivés et attentifs.

Après quelques prières récitées en latin et une autre langue, elle psalmodie des mots sacrés inspirés des mythologies cabalistique, chrétienne, païenne, théurgique et égyptienne. C’est qu’Andoria s’intéresse aux sciences des univers cachés et du pouvoir de la conscience depuis sa tendre enfance.

L’atmosphère s’alourdit, les trois se sentent engourdis.
— Que se passe-t-il ? demande Greg d’un ton perplexe.
Les deux hommes écarquillent les yeux et balaient l’endroit de gauche à droite comme pour chercher des réponses et pour se rassurer, tout en demeurant relativement calmes.

Andoria les regarde et examine également la pièce tout en s’ajustant à sa nouvelle perception. Un court moment d’effroi la secoue. Elle se ressaisit en se posant des questions à voix basse.
— À qui appartenait la voix que j’ai entendue dans ma tête au bord de l’eau tout à l’heure ? Tout ce que j’ai entendu est donc réel!

Soudainement les chandelles du salon d’un coup de vent provenant de nulle part, s’éteignent. À l’extérieur, une étrange lueur laisse entrevoir un paysage différent, complètement différent. Une fêlure dans le cadre de la fenêtre permet à un sillon d’air d’entrer en s’annonçant par un sifflet strident. Une épaisse brume y puise rapidement un chemin et enveloppe des segments du salon. Le vent inquisiteur élève les peurs et Andoria appelle Dieux et Saints pour qu’ils les enveloppent d’un voile protecteur.
— Ton nom est Ganymède ! crie-t-elle avec lenteur d’une voix profonde et vibrante.
Un écho répond.
— Mède, Mède.
Un écho ?! Du coup, le balai se change en un sceptre de bois aux bouts dorés étrangement sculpté et le jeté se transforme en une cape de velours or brodée de fines gouttelettes blanches contenant un point rouge. Le jeu devient sérieux. Les changements continus. Dans un coin de la pièce, la brume se dissipe laissant apparaître une longue épée, une targe et une armure. Cette arme est chargée d’un pouvoir qui la rend légère. Le centre de la targe est gravé d’une étoile représentant une symbiose entre un pentagramme et un hexagramme. Ganymède s’empare de ces cadeaux fantastiques avec circonspection. Il prend une grande respiration et se sent prêt à affronter tout défi.

Andoria se tourne vers Frank témoin et complice il est, en fait, également altéré. Élève de la vie, humaniste érudit il détient dans ses mains un grimoire de magicien et à côté, une psyché.
— Ton nom est Chiron ! proclame solennellement Andoria sans même y avoir réfléchi. Et elle continue.


LA MISSION

— Nous avons une mission à accomplir. Il s’agit d’emprunter le passage qui nous amènera à l’endroit où vie un Ennemi Animal. Le seul en existence. Ce monstre exécute son œuvre malfaisante à l’intersection de plusieurs réalités. Son pouvoir de destruction sur des humains consiste à nourrir leurs vices. Il les atteint en s’infiltrant à un endroit où ils sont vulnérables : leurs rêves. Dans le vide nocturne du sommeil de l’humain, l’inconscience est à nue. C’est là que l’animal venimeux griffe. Il y creuse le premier sillon du mal profond, celui qui fait flancher l’humain. Atteint par le venin, ce dernier se livrera, dans sa vie éveillée, à différents vices. Les vices sont la source du mal. Sa vie changera dans le but de nourrir ses vices, donc de servir le mal. Le fléau a commencé, mais n’a atteint qu’une faible partie des sociétés. Toutefois, le mal se propage rapidement. Il faut agir vite sinon l’espèce humaine deviendrait complètement mauvaise. Voilà.

— Comment sais-tu cela ? questionne Chiron (Frank).
— Une voix étrangère m’a parlé dans ma tête lorsque j’étais au bord de l’eau, juste avant que je ne fasse irruption dans le salon. Je n’ai aucune idée d’où elle venait, ni comment elle s’est immiscée dans ma tête. Rien. Tellement que je me demandais si je vivais un épisode de schizophrénie. Mais je me sentais bien et je savais dans mon for intérieur que c’était réel. Il fallait bien que j’y croie pour jouer mon rôle comme il faut! Dès que j’ai vu le paysage par la fenêtre changer, j’ai su que la voix et la mission étaient réelles. Nous avons reçu les outils pour abattre l’Animal. Nous devrons donc l’affronter. Devant lui, il faudra entretenir des pensées sages et saines, ce sera notre meilleur bouclier. Lorsque nous aurons trouvé l’Animal, il faudra le défier. Il s’agit de l’inviter à un défi, de lui lancer le gant. Le grimoire nous aidera à trouver les bons mots. Chiron disposera la glace à un endroit stratégique où la Bête solitaire se verra bien. Elle sera fascinée par son reflet. Grâce au pouvoir des paroles lues dans le grimoire, le reflet de la bête prendra vie. Le double surgira hors de la psyché. Fidèle à sa nature belliqueuse, un combat s’engagera entre l’Animal et lui-même. Ils se battront l’un contre l’autre, des adversaires de forces égales. Et ils mourront d’épuisement.

Pour sauver les humains Greg, euh Ganymède doit, après la matérialisation du reflet, d’un coup d’épée détruire le miroir. Si cette mission échoue, la race humaine perdrait à jamais la grâce de ses pensées saines et généreuses et sa lumière potentielle. Violence et laideur seraient de mises dans tout système politique, dans toute industrie, dans toute communauté, dans toute maison. Partout partout partout. Ce serait la fin...


LE GRAND DÉPART

Les trois se regardent avec complicité. Ganymède et Chiron se dirigent vers la fenêtre pour contempler ce paysage inconnu.

Ganymède se tourne vers Andoria.
— Hé, Dory, tu n’as pas de nouveau nom toi ?
— Ma foi non, je suis l’instigatrice, l’organisatrice et …la magicienne.
— Hé, mais c’est moi qui ai hérité du grimoire, réplique Frank, livre à la main.
— Il est apparu à côté de toi Frank, mais je crois qu’il m’était destiné.
Ne voulant jamais être au centre d’une discorde, surtout avec son amie, il approuve.
— C’est vrai que c’est plutôt ton genre de truc ces incantations et tout. Tiens, prends-le.
— Disons qu’il est à nous deux ! ajoute Andoria.
Les trois amis sont mentalement prêts à enjamber cette passerelle pour aller affronter le monstre.
— Attendez les gars, je vais apporter quelques provisions, qui sait où tout cela mènera!
— On t’attend, répond le nouveau chevalier en enfilant son armure.

Tel un coup de vent Andoria se retourne et s’empresse de ramasser quelques articles qui pourraient être utiles. Elle saisit des bouteilles d’eau, deux miches de pain gelé du congélateur, tout le fromage qu’elle trouve dans le frigo, le sac de pommes, celui de dates, une colonne de biscuits secs, deux ou trois couteaux, du sel (pour les pommes), un rouleau d’essuie-tout, une bouteille de vin, évidemment, et quelques objets de camping qu’elle avait laissé chez Greg dont son gros canif multifonctions, sa lampe de poche autogénératrice et un briquet. Le gros sac est plein. Elle ouvre le coffre qui fait office de petite table et y sort deux couvertes, en prend une pour envelopper les trois instruments de musique soit l’harmonica de Greg, la lyre de Frank et son piccolo. Elle aime entendre les notes aiguës et cristallines qui s’y échappent lorsqu’elle joue dans le jardin ayant comme seule audience, les chats du voisinage. Andoria enfile ses vieilles bottes de travail, porte les deux sacs de coton froissé en bandoulière par-dessus sa cape de magicienne, combiné à son sceptre et ses cheveux châtain pâle bouclés attachés en une haute queue qui forme un gros pompon, elle affiche un délicieux aspect de mercenaire urbaine déjantée.

— Voilà nous pouvons y aller. Wow Greg, comme tu es beau dans cette armure ! Attendez !
Elle fait volte-face pour aller chercher le diable au fond de l’armoire afin d’aider Chiron à transporter son fardeau de deux mètres et d’une trentaine de kilos. Encombrée de bagages, Andoria est prête à franchir cette fenêtre. Les trois regardent autour du salon pour être sûrs de n’avoir rien oublié et surtout pour se rendre compte de ce qui se passe, car ils ne savent pas où ils vont ni pour combien de temps. Ils n’ont pas pris le temps de se poser des questions importantes telles que : comment arriver au but, combien de temps cela va prendre, que faire si nous ne réussissions pas, etc.

Les voilà tous les trois chargés comme des mules. Le miroir ne doit pas casser. Ganymède passe en premier pour aider ses amis. Un à la suite de l’autre, ils enjambent, ou plutôt sautent tant bien que mal du cadre de la fenêtre interdimensionnelle.

Et voici le chevalier, l’érudit et la magicienne devant une mission fantastique, seuls, dans un monde inconnu, contenant au moins un être machiavélique.

Clopin-clopant ils s’engagent sur un sentier de terre sablonneuse. Encombré de sa psyché Chiron tire le diable par la queue, c’est le cas de le dire. Il reste derrière Ganymède, bien équipé pour combattre tout assaillant impromptu. Mais pour marcher, l’armure est plutôt encombrante. L’épée est légère, la targe petite, la jupe tolérable, mais le plastron, ouf! Une chance qu’il prend bien soin de sa forme physique. Il y a trois ans il a été champion de ski acrobatique aux compétitions régionales. Et il en est très fier ! Andoria transporte deux gros sacs mal foutus remplis de nourriture, d’instruments de musique et autres bidules. Pourquoi étions nous si pressés ? se demande-t-elle. Avions-nous peur que la fenêtre se referme ? Elle se dit qu’elle aurait dû prendre un son sac à dos, une tente, une boussole, etc. Sa caméra ! Elle a oublié sa caméra. Quelle bourde. Elle avance en s’appuyant sur son long sceptre et tourne plusieurs fois sur elle-même afin de contempler ce monde révélé.

— Hé Greg, tu as apporté ton iPhone ?
— Bien sûr Andoria, toujours !
— Peux-tu prendre une photo ?
— Oui. Bonne idée.
Ils interrompent leur marche, Ganymède soulève maladroitement son armure pour fouiller dans la poche de sa veste. Quelques photos sont prises, mais il doit faire attention pour ne pas vider la batterie. Il tente de se brancher sur l’Internet… Rien. Évidemment.
— Ne t’inquiètes pas Ganymède, j’ai apporté ma lampe de poche qui fonctionne à énergie solaire et, entre autres, recharge les téléphones … Ah! J’y pense, ton Mac ne peut s’y connecter. Mac, ils font tout différemment !
— Ça te fait penser à quelqu’un Dory ? répond Greg d’un ton quelque peu moqueur.

— Tiens Chiron une couverture. J’ai eu le temps de prendre deux couvertes au cas où vous auriez froid. Moi j’ai ma cape.
— Merci ma chère ! réplique Chiron affable, en couvrant la psyché de la couverte. Tu penses à tout !

C’est dans des sentiments mêlés d’incertitudes, de détermination et débordants de curiosité qu’ils avancent dans le paysage surréel de cet endroit innommable. Aucun nuage, aucun soleil et pourtant il fait clair. La clarté est dorée et diffuse. Le sable, les galets, les roches et les rochers, tous dans les tons d’ambre à doré, semblent attendre là immobiles depuis des millénaires. Aucune trace de pas ne vient interrompre la continuité du sol. Qui l’aurait façonné ce sentier? La Bête? Des questions sans réponses… La marche continue. Les bottines trottinent.


UN AGRÉGAT SURPRENANT

Après deux ou trois heures de marche ascendante, un bruit se fait entendre au loin. Un son. Un remue-ménage leur parvenant tel un murmure. Sans même se consulter, les trois bifurquent pour se cacher derrière un monticule de sable qui arbore quelques buissons secs dont les extrémités sont vertes. Chiron qui analyse toujours tout se dit qu’il doit pleuvoir parfois dans cette contrée ou, qu’il y a une source d’eau souterraine. Il prend soin d’effacer les plus récentes traces de leur passage. Le bruit s’amplifie. Bien dissimulé, Chiron laisse un petit bout de la psyché dépasser en angle afin d’examiner ce qui s’approche. Les deux autres s’entassent contre lui pour observer la réflexion. Le son devient plus distinct. Ce sont des paroles mêlées de gémissements d’enfants, mélangés au bruit sourd de leurs pas rapides qui raclent le sol soulevant un nuage de poussière. Des enfants qui sont tous regroupés les uns contre les autres, comme une grappe. Ils piaillent et avancent avec nervosité et hâte. Les têtes regardent nerveusement dans toutes les directions. Le désespoir se lit dans leurs yeux.

Une fois cet agrégat de jeunes âmes troubles passé, les trois amis sortent de leur cachette, subjugués. Sans mot dire ils reprennent leur marche. Que penser de cette manifestation étrange? Ils se posent tous la question. Cela ne présage rien de bon. Une graine d’inquiétude est semée dans leurs entrailles. La marche continue de bon train, avec un peu plus de détermination et de silence. Le voyage devient un périple.


LES SPHÈRES

Quelques heures plus tard, toujours en train d’avancer vers leur futur incertain, ils observent non sans crainte, un filet de boules blanches transparentes et évanescentes s’approcher d’eux à toute vitesse. Les sphères volent en suivant la courbe sinueuse du sentier. Ils n’ont pas le temps de se cacher. Neuf boules passent par dessus trois têtes perplexes. Sous le regard réprobateur de Chiron, Ganymède lève son épée pour tenter d’en piquer une. La sphère touchée, dans un mouvement d’évitement diverge de sa trajectoire pour immédiatement reprendre sa place dans le fil qui défile. Et elles disparaissent aussi rapidement qu’elles sont apparues.
—  Qu’est-ce que ça peut-être ? s’exclame Ganymède troublé.
—    Probablement des élémentaires de lumière, répond Chiron avec son flegme habituel.
Andoria offre des explications plus élaborées et ésotériques.
—    Ce sont peut-être des orbes électro-ectoplasmiques dans lesquelles se déplace une âme ou une volonté. Oui, ça peut être celles de rêveurs. Peut-être en fuite. Aussi, une boule pourrait contenir plus d’une entité. Qui sait? Une boule peut être un résidu de plasma lumineux provenant d’âmes décédées ou encore de voyageurs qui proviennent… de loin, nécessairement. Et le nombre de 9? Le 9 est le nombre qui…
Une autre explication lui vient à l’esprit.
— Ou simplement une matérialisation physique d’une haute fréquence lumineuse multidimensionnelle exempte de volonté telle qu’on la conçoit. De telles sphères sont souvent observées lors d’apparitions d’agroglyphes géométriques. Elles seraient dans ce cas, conductrices d’une volonté. Elles feraient office de dispositifs communicationnels contrôlés par des intelligences. Quant au numéro 9, il est sacré dans plusieurs mythologies et est intéressant en math. Lorsque tu le multiplies par n’importe quel chiffre, et que tu additionnes les chiffres du résultat, ça donne toujours 9. Il est harmonie. Par exemple 9 x 31 = 279. 2+7+9 = 18. Et 1+8 = 9. Ça fonctionne tout le temps.

Quant aux enfants ils peuvent être des enfants décédés qui cherchent la lumière ou des enfants qui dorment et fuient la bête. Ou encore, ils sont perdus. Peut-être des âmes troublées que la bête a griffées. Ou, une énergie protectrice provenant de leur pureté infantile qui s’est laissée avoir par la bête dans le but de les protéger. Nous aurions peut-être aussi été témoins d’une réflexion physique, contenue et errante. Ou, ils sont une énergie résiduelle d’enfants qui ont résisté. Enfin, ce sont des explications parmi tant d’autres. En tout cas, ils avaient l’air aussi effrayés qu’effrayants. Je crois d’instinct que durant notre escapade nous allons faire face à des situations qui nous apporteront des explications.
–    Tes instincts sont souvent fiables, reconnaît Chiron.


NOUVELLE CONTRÉE

Ils continuent leur ascension vers le sommet de la colline. Finalement atteinte, la cime offre une vue surprenante. Droit devant, au loin se trouvent d’immenses montagnes très escarpées. Plus hautes et plus escarpées que n’importe quelle montagne de la Terre. Ils ne se trouvent pas juste dans un intermède de mondes, mais dans un monde à part entière. Il devient évident que le voyage prendra beaucoup plus de temps que prévu. Tous ont des obligations chez eux, mais la réalité de cet univers s’avère si prenante, que la réalité d’où ils viennent semble maintenant loin et sans importance. Fascinés par la vue de cette chaîne de montagnes aux pics blancs, ils continuent sur le sentier.
— Il y aura sûrement de la vie dans cette région ! Impossible de renoncer à explorer cette nouvelle contrée, avoue Chiron.
— Impossible, répondent à tour de rôle ses deux camarades.

La cadence des pas augmente et les heures passent. Ganymède, qui doit supporter la lourdeur de son armure, interrompt la marche en s’assoyant sur un rocher. Il retire le plastron. Son casque était déjà retiré, sa jupe se porte relativement bien.
— Nous ne sommes pas prêts pour un tel périple. Je pensais que ça allait durer quelques heures. Tout un jeu ton histoire Andoria! Elle est où la fin ?
— Je ne sais pas Greg. Une petite pause ? Tiens, une bouteille d’eau, du pain, du fromage et une pomme…
— Merci Andoria, exprime-il avec gratitude. Une chance que tu es venue avec nous!
Chiron, en accord avec ce commentaire, opine de la tête et tend la main pour recevoir sa pitance.
— Désolée les gars, je ne savais pas du tout où tout ceci allait mener. Tout ce que je sais au sujet de ce royaume, vous le savez. Je suis partante pour continuer, se rendre au but c’est-à-dire trouver le monstre, lui montrer le miroir, laisser sortir son reflet, briser la psyché et partir en courant vers notre point initial. C’est beau? Peut-être y aura-t-il de l’eau et des vivres dans les montagnes. Vous me remettrez les bouteilles vides OK ? Et les cœurs de pommes aussi.
Les deux paladins acquiescent.
— Oui, comment dire non à ce voyage fantastique! déclare Chiron en pointant le doigt vers la partie du grimoire qui sort par le haut du sac d’Andoria.
— En effet, approuve Ganymède
— Hé, les gars, juste « au cas où » j’ai apporté nos instruments de musique !
— Andoria, je t’aime ! s’exclame Ganymède en la serrant dans ses bras.
— Je vous aime aussi beaucoup répond-elle avec amitié.
Elle tend l’harmonica à Grégoire, la lyre à Frank et commence à jouer de son piccolo. Ils jouent les morceaux habituels sans trop de discipline, car la fatigue commence à les rattraper malgré que le goûter ait aidé à se revigorer. Et ils ne jouent pas à pleins poumons pour ne pas attirer l’attention. Toutefois, du haut de cette butte, ils voient assez loin et il n’y a rien à signaler à l’horizon.
— Rien de tel qu’un peu de musique pour se remettre les idées en place, lance Ganymède d’un ton ragaillardie.

Durant la randonnée en direction des montagnes, Ganymède accroche son plastron sur le coin de la psyché recouverte d’une couverte. Mais le son cliquant de métal lui fait reprendre son lot pour finalement le traîner sous le bras. Ils marchent et marchent. La fatigue les gagne. Lors d’une pause, ils se sont tous endormis. Chiron est le premier à se réveiller, suivi des autres et remarque.
— Il ne fait jamais nuit ici?
Andoria s’étire et admire les montagnes au loin. Ganymède s’éloigne un peu pour faire quelques exercices d’étirement.
— On ne dirait pas. Pour savoir quand s’arrêter, il faudra regarder l’heure, seule le cellulaire pourrait nous fournir cette information, elle hausse la voix pour que Ganymède entende, nous n’avons pas assez de vivres pour ce périple les gars. Nous devrions considérer faire marche arrière afin de mieux nous préparer. Comme c’est là, nous ne nous rendrons pas à destination.
Ganymède ne l’a pas entendu, car il est rendu au-delà d’une dune.


LA CABANE

Il cri.
— Heille les gars, venez voir la cabane ! (Greg appelle toujours ses deux amis, les gars, Andoria se sent acceptée à force égale.)
Sans tarder, les trois voyageurs s’engagent vers la bâtisse. Andoria cogne à la porte. Rien. Elle tourne la poignée. La porte n’est pas verrouillée. Ils entrent doucement, sans faire de bruit.
— Il y a quelqu’un? lance-t-elle d’une voix douce et puérile.
C’est le silence. Ils entreprennent d’investiguer l’endroit. Couché sur le comptoir de la pièce qui fait office de cuisine, une cruche qui contient un fond d’eau et à côté, quelques bidules sans importance. Ganymède inspecte les chambres. Le mobilier, tout est vieux, frugal, voire dépravé. Une vieille baraque. Et ils inspectent l’arrière de la maison. Chiron ouvre un des trois gros caissons, gros comme des cabanons.
— Venez par ici ! Andoria et Ganymède s’approchent. Chiron retire un amas de …
— Qu’est ce que c’est ? Il examine une espèce de fabrique gélatineuse, légère, solide, transparente aux reflets verts et bleus, dessous, un amas de fils, des bombonnes, le tout contenu dans un gros panier rond en osier.
— Ça ressemble à une montgolfière ! s’écrit Chiron d’un enthousiasme qu’il exprime rarement. Hé ! ça vous dit de faire un tour de montgolfière gang?
— Wow, s’exclame Andoria avec stupeur et incrédulité.
Le visage de Ganymède s’illumine. À trois ils déploient ce qui ferait office de ballon et Chiron place tout pour tenter de faire fonctionner la chose.
Andoria va examiner les deux autres caissons.
— Ils sont vides ! Nous ne sommes probablement pas seuls ! Impossible de savoir quand tout cela a été construit. Peut-être pas si longtemps, car le ballon semble être en bon état. Soit que le ou les propriétaires ne sont plus là du tout, soit qu’ils sont absents, peut-être en montgolfière ?
Ganymède dépose la paume de sa main sur le pommeau de son épée.
— Nous risquons de croiser d’autres montgolfières sans savoir si ce sont des gens amicaux et… ce gros joujou leur appartient !
Ses mots raisonnent de bons sens et éveillent une certaine crainte. Ils accélèrent la cadence.

Après un certain temps, l’enveloppe de la montgolfière remplie d’air chaud se tient bien dressée, droite au-dessus de la nacelle d’osier. Le ballon est transparent et absolument énorme. Grandiose. Et magnifique. Une montgolfière géante pour des montagnes qui embrassent le ciel.
— Bravo Chiron, tu es un as ! félicite Andoria en admiration devant ses compétences ingénieuses. Une autre photo Gany ?
— D’accord, mais ne m’appelle pas Gany. Il recule pour en prendre une avec une partie de ce nouveau moyen de transport démesuré.
Ganymède demande à Chiron
— Combien de temps penses-tu que nous avons avant de vider les bouteilles ?
Chiron ne répond pas et s’efforce de faire entrer sa psyché sans l’abîmer et sans abîmer ce gros panier défraîchi.
— Il y a trois grosses bombonnes. Pourrais-tu calculer, à l’aide de ton cellulaire, les nombres d’heures où la bombonne fonctionne Ganymède ? Ce dernier lui répond d’un coup de tête positif.
Une fois tout et tous à l’intérieur, la navette décolle. Chiron allume la petite hélice qui sert de propulseur pour se diriger droit devant. Direction les montagnes. Comme il n’y a pas du tout de vent, le gigantesque ballon se meut tranquillement et en silence vers cette chaîne de montagnes. Les trois protagonistes jubilent face à cet heureux dénouement et à ce paysage à couper le souffle et aussi, face à l’aventure vers laquelle ils s’envolent.


DANS LES AIRS

Perchés en haut de rien ils aperçoivent la grandeur de ce continent oublié, sans nuit et sans vent. Ils contemplent la vue aux quatre points cardinaux.
Greg sort son iPhone pour s’en servir comme compas.
—   Le nord est par là, en pointant vers les montagnes qui grimpent au-delà des nuages.
—  Des nuages !? Donc, il y aura du vent ! avise Chiron avec satisfaction. Et de la pluie !
À l’ouest ils aperçoivent des reflets cernés d’une ligne verte, ce doit provenir de petites étendues d’eau entourées d’un peu de verdure.
Au sud se dessine un chapelet de gros rochers zigzagants avec plus ou moins de régularités.
À l’est, au loin, un éclairage plus prononcé, la couleur ambre s’intensifie vers un bleu assez foncé et le sol est couvert de marques étranges. Des marques géométriques mi-effacées.
— Hé, les gars, regardez au loin, il y a des pyramides ! remarque Andoria en pointant dans cette direction.
— J’en vois trois ! indique Chiron, dans notre prochain voyage, je suggère qu’on s’y rende. Nous avons définitivement trouvé des signes d’intelligences, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient accueillants ni qu’ils soient encore ici. En tout cas, je ne vois aucune montgolfière, aucun feu, aucun signe de vie active.
— Ah oui, bonne idée, nous irons visiter ces lieux ! Andoria acquiesce avec enthousiasme affichant un large sourire dévoilant une multitude de belles dents.
— Wow, répond Ganymède, je me joindrais à vous sans hésiter. Quelle intrigue quand même !

Le voyage continue pendant qu’ils se déplacent d’un bord et de l’autre de la nacelle, en se croisant au centre, pour admirer la vue dans toutes les directions. Et ils contemplent aussi l’immense enveloppe transparente aux reflets verts et bleus, telle une bulle de savon grandeur astronomique. L’engin continue inlassablement son petit bonhomme de chemin.

Ce mode de transport leur permet de se reposer et de dormir. Mais cette fois-ci, à tour de rôle. Le temps passe et les rations de nourriture diminuent.
— Nous n’avons que pour deux jours de vivre environ. Un jour de plus dans cette direction sans rien trouver et nous devrons rebrousser chemin. Nous reviendrons mieux équipés, c’est tout, avec plus d’outils et de nourriture et un moyen de transport plus rapide. Chiron, tu pourras faire passer des chevaux par la fenêtre de Greg?
Bien sûr ! répond-il avec sérieux. Un petit silence suit et, d’un coup, ils ont tous éclaté de rire en imaginant cette situation ridiculement impossible. Un rire qui fait lâcher les tensions accumulées.
— Pour ce qui est du temps restant, d’accord Dory, acquiesce Ganymède, un jour de plus. Chiron les regarde d’un air entendu. Tous les trois sont prêts à continuer ce voyage sans perdre de temps, pour un autre 24 heures malgré la sérieuse menace de disette.

Andoria profite de ce temps de vol pour lire le grimoire. Du moins une partie, car il est difficile à lire. Un décryptage est nécessaire. C’est dans la douceur du vent créé par l’avancée de l’aéronef et au son de la bombonne qui se vide par intermittence qu’ils se font accueillir par les premières hautes montagnes vertes. Une à gauche, une à droite. L’atmosphère en est une de tranquillité et de beauté hypnotisante. Un moment idéal pour jouer de la musique.

De son piccolo Andoria sort un air sublime et angélique qui accompagne très bien le décor fantastique. Chiron ajuste sa harpe et l’accompagne de sons subtils et cristallins. Ganymède dirige l’engin afin de rester au centre de la vallée, à mi-chemin entre la neige des sommets et le ruisseau au sol. Puis il retire son harmonica de son étui et accompagne ses amis avec des trémolos classiques bien placés apportant une mise à la terre à la composition improvisée. Les harmoniques se multiplient, chacune affichant sa propre perfection. Un concerto d’un nouvel ordre. Une symbiose musicale bien ressentie par les trois artistes qui apprécient à plein ce moment d’inspiration absolue. Ainsi la matinée s’écoule pendant que tous les trois demeurent divinement inspirés par ce paysage dépassant toute fiction. À la fin, ils ont cessé de jouer simultanément, comme par magie, tous en même temps tellement ils étaient connectés. Le petit vent continue de rafraîchir l’équipage et leurs doigts ankylosés.

Leurs ventres commencent à crier famine.
— Pour le dîner, une pomme et un morceau de fromage, du pain et du vin. Un cru, rien d’autre ! elle sort la bouteille.
— Un rouge ! Andoria tu es une vraie magicienne ! loue Ganymède avec émerveillement.
— Vous me remettrez les graines des pommes les gars.
Le festin est consommé avec contentement.


LA TORNADE

Un petit vent qui semble apporter une douce odeur d’espoir se lève . Soudain, très soudainement Ganymède hurle.
— Tornade ! en pointant dans sa direction.
Une fine et longue tornade apparaît de derrière une pointe rocheuse et s’approche de la montgolfière à vive allure. Chiron s’empresse de vérifier si la psyché et bien enveloppée. Andoria emballe tout dans ses deux sacs et les fermes à l’aide de cordes trouvées à la cabane et les attache tant bien que mal au plancher de la nacelle. Ganymède enfile son armure à la hâte et dirige le ballon dans une position qui peut sembler astucieuse. Mais le ballon ne bouge pas vite. La tornade, elle, oui. Et elle attaque. De sa queue elle fouette la nacelle et la fait tournoyer sur elle même. Les voyageurs en panique accrochent une main au panier qui semble si fragile, et l’autre à leurs bagages. Andoria, de sa main droite, brandit son sceptre et cri.
— Va-t’en tornade, fout le camp d’ici, tu n’es pas la bienvenue parmi nous, par la clémence d’Éole, par l’archange Raphaël et par Saint-Joseph, patrons des voyageurs, par l’ange Lauvuel qui domine la foudre et par la protection de Shaddai el shai Tzabaoth, Tzabaoth, Tzabaoth, déguerpis maintenant et ne revient plus, je te l’ordonne ! Elle donne un coup de sceptre comme pour la piquer et à ce moment-là, la queue de la tornade entre dans la nacelle, balaie son corps et la soulève pour l’emporter. Ganymède, avec ses réflexes aiguisés lui attrape un pied et la retient, mais la tornade est forte. Andoria pendouille dans le tourbillon, sa cape à l’envers découvre son corps, recouvre sa tête et la majeure partie de son sceptre qu’elle tient avec ses deux mains. Ganymède se concentre, ramasse ses forces et tire d’un coup brusque sur sa cheville qu’il tient fermement. Il réussit à la libérer. Tel un coup de fouet elle atterrit abruptement au fond de la nacelle tandis que la tornade obtempère à sa commande et s’éloigne. Tout ballotte. Tous capotent. La nacelle se met à tourner sur elle-même comme une toupie alors que le ballon, ballotté de gauche à droite suit difficilement le mouvement de rotation. Les câbles qui relient la nacelle au ballon tournoient et commencent à former une tresse qui se rallonge et s’approche dangereusement du feu de la bombonne.

Chiron s’empresse, avec sa main qui tenait la psyché, de fermer la valve. Se faisant la psyché tombe au fond de la nacelle non sans faire un bruit de bris inquiétant. La valve fermée n’émet plus de gaz, plus de feu pour envoyer de la chaleur dans le ballon et le garder gonflé. Du coup la montgolfière se met à descendre. L’enveloppe se dégonfle tranquillement pendant que la nacelle décide de se dérouler. Et la toupie repart en sens inverse. Les trois amis sont blottis au fond, bien cramponnés et un peu étourdis. Surtout Andoria qui peine à se remettre de sa chute. Ganymède, couvert de son armure, s’étend sur ses amis pour les immobiliser. Le panier continue de se dérouler et l’aéronef descend de plus en plus vite.

— On tombe ! cri Andoria d’une voie paniquée et pleine de trémolos causés par le tournoiement et le sautillement du panier et aussi par la peur. Ganymède se lève et cherche, dans des mouvements saccadés, le briquet, le trouve. Les mains bien agrippées au panier, il avance vers la bombonne pour la rallumer. Il ouvre la valve de la bombonne. Le gaz s’échappe. Puis tente d’allumer le briquet. Rien. Une autre fois. En vain. Le gaz s’accumule. Une troisième fois, et pouf! le gaz s’allume, mais non sans faire un feu qui brûle deux ou trois cordes de la couronne et la base de la jupe. La nacelle a cessé de tournoyer, mais elle ballotte et descend encore. Ils sont maintenant proches du ruisseau qui s’avère beaucoup plus large que préalablement supposé. Du fond de la nacelle Chiron et Andoria regardent, sans cligner des yeux, Ganymède qui est en train d’allumer le deuxième brûleur. Le ballon grossit et la descente devient plus douce, puis cesse. N’étant plus complètement attachée, la jupe claque dans le vent. Les flancs de montagne ce sont rapprochés du ballon. S’y frotter serait dangereux. Le pire est passé. Tous respirent.

Chiron et Andoria se relèvent, un genou à la fois, pour constater les dégâts et voir où ils sont rendus. Bas. Mais ils ne s’écraseront pas. Andoria vérifie le contenu des sacs.
— Je vais bien. Une bouteille d’eau a éclaté dans le sac, c’est tout. Le livre est intact. J’avoue avoir mal au cœur. Je dois avoir des ecchymoses partout. Et j’espère que ma chute n’a écrasé aucun instrument. Merci, Ganymède, de m’avoir rattrapée !
— Je ne voulais pas qu’on perde le sceptre Dory ! blague-t-il en regardant les montagnes au loin affichant un faux rictus de petit coquin...
— Bien sûr, c’est évident, répond-elle incrédule.
— La psyché est un peu craquée, mais juste dans le coin en haut. Heureusement ! informe Chiron.
Les dommages à la navette ne semblent nuire à rien. Le bruit du claquement de la jupe peut être un peu agaçant, mais ça va. Ils l’ont échappé belle.


LA PÊCHE

Ils examinent les alentours et remarquent des arbres de différentes essences et des oiseaux.
— Il y a des oiseaux !
— Hey bien Andoria, je crois que tes propensions végétariennes vont prendre le bord ! moralise Ganymède en observant un écureuil.
— T’en fait pas l’ami, je n’en suis pas rendue là !
Chiron ajoute.
— De toute façon atterrir ici me semble impossible, ça prend un terrain ouvert pour recevoir la montgolfière.

Et si nous pêchions ? lance Andoria sans y penser. Il doit y avoir des poissons dans cette rivière ? J’ai un hameçon dans le manche de mon canif. Pourrions-nous le faire cuire au-dessus d’un brûleur Chiron ?
— Comme c’est probablement du propane liquide, je dirais que oui, ce serait faisable. Mais pas plus de cinq minutes, le gaz c’est pour le ballon.
Il confectionne une ligne à pêche avec le sceptre, une corde et l’hameçon qui tient un bout de fromage.
Andoria ayant maintenant le contrôle de l’engin, quelque peu endommagé,  le descend à trois mètres de l’eau en jouant avec le débit de gaz. Chiron lance la chose. Au bout de cinq minutes.
— Ça mord !
Un gros poisson, pendu au bout de l’appât sort de l’eau en gigotant. Il est tiré jusque dans la nacelle.
— Fructueuse cette pêche ! lance Andoria en s’emparant de la prise.
—    Merci Dieu, pour cette pêche fructueuse, merci cher poisson de donner ta vie pour nous nourrir.
D’un gros coup de spectre elle frappe la tête de la pauvre créature, prend son couteau pour lui découper le ventre, la vide de ses organes, lui tranche la tête et la queue, jette les rebus par-dessus bord et le débite en minces lattes qu’elle pique sur les couteaux de la coutellerie de l’appart. Ce n’est pas une histoire très propre, mais quand la faim pousse à l’action, le reste devient banal. Assumer ainsi ce qu’elle absorbe fait partie de sa philosophie, voilà pourquoi elle tenait à préparer la prise.
Chiron place la bombonne dans le but de faire cuire le repas si mérité.
— Une chance que j’ai apporté des essuie-tout ! se targue avec fierté Andoria.
Le poisson est consommé. Les papilles gustatives des convives ne se sont pas ragaillardies par le goût âpre de ce repas.
— Il reste du pain Dory ?
— Elle fouille dans son sac. Tiens, un petit bout de pain écrasé et deux dates.
— Des dates ! Ganymède s’en délecte.
— Merci Andoria, dit Chiron sachant que les rations sont raisonnables vu les conditions présentes.
Les trois amis ingurgitent leur repas dans émettre d’autres commentaires.

Ganymède remplit le ballon d’air chaud pour élever la montgolfière et suggère.
— Il faut connaître notre position. S’il nous reste beaucoup de chemin à faire, et qu’il y a des poissons à manger, alors nous devons faire des réserves pour le voyage.

Pendant l’ascension, Ganymède tente de diriger le ballon au centre du ravin pour ne pas accrocher les flancs rocheux. Tous les flancs de montagnes se ressemblent.
— Par où doit-on aller ? Ganymède demande à son ami qui est une boussole sur deux jambes.
— En haut. Allons vers le haut, répond simplement Chiron.
Soudainement Andoria porte sa tête au-delà du rebord et vomit.
Beuuuuurk. Beuuuuurk. Ganymède lui tend des essuie-tout. Elle s’étend au fond du panier. Son ton verdâtre trahit son état de santé. Puis, Ganymède se sent mal. Il retire à la hâte son armure sans bien défaire tous les petits nœuds qui lient l’avant et l’arrière du plastron et se plaint d’étourdissement. Il met son visage dans la direction du vent et …. émet un gros rot. Puis, cherche le « petit pot » avec anxiété.

— Ohhhh! lance-t-il en se tenant le ventre en regardant par-dessus bord. Il régurgite tout le poisson… et les deux dates. Et s’étend de son long au fond du panier. Frank suit peu après. Il vomit tout. Tout tout tout. Les trois au fond de la nacelle, se tiennent le ventre et chignant. Chiron, s’étire et éteint l’éventail qui pousse la montgolfière et se tapit au tapis. L’empoisonnement les rendent malades, trois fois chaque, Andoria, cinq fois.
— Andoria, avec ta maîtrise en botanique médicale tu aurais dû le savoir.
— Bien oui, la prochaine fois que je changerai de planète Ganymède, je penserai à apporter mon microscope… et des antitoxines.
— OK, désolé.
Épuisés, vidés, éreintés, ils s’endorment au fond du panier pendant que la montgolfière se promène, lentement à la dérive, parfois en frottant des parois rocheuses, parfois en frappe une et rebondit sur l’autre. Elle se taille ainsi une trajectoire cahoteuse qui pourrait coincer le ballon entre des rochers et les laisser dans le pétrin.

Après quelque temps, Chiron se relève dodelinant de la tête. Debout, accoté sur le parapet pour retenir son corps qui lui semble particulièrement lourd, il ouvre quelque peu la valve de la bombonne pour faire monter l’aéronef, retombe à l’horizontale pour se rendormir d’un sommeil profond. La montgolfière tient le coup et bouge lentement à travers un chemin qu’elle se forge au hasard alors que les trois sont K.O., des loques gisant au fond d’un vieux panier.
— Ahhhhh mon Dieu ! crie de douleur Andoria sur un ton éreinté et sans force. Les gars, retournons à la maison MAINTENANT.
— OK, dit Ganymède en s’essuyant le visage.
Frank, debout, courbé, regarde à gauche et à droite. Il est d’accord, mais ne dit rien. Les voilà perdus au milieu de ces montagnes sans noms. Combien de temps s’est-il passé, se demande-t-il, depuis… depuis… Ha et zut, aucune idée. Ganymède, magané demeure silencieux. Ses yeux sont vitreux et creux, son teint blanc neige et sa tête, vide. Il aurait pu tenter d’ouvrir son iPhone pour trouver le sud. Personne n’y a pensé, car trop amoché et un peu désespéré.
— De l’eau SVP réussit-il à bafouiller. Chiron lui tend la bouteille qu’il cale aussitôt, mais se la fait sèchement retirer.
— Hé, il en faut pour le retour.
— Oui, retournons ! cafouille Ganymède. Nous reviendrons plus tard.

Ils sont complètement perdus. Aucune trace de la rivière. La rivière, beurk, elle a laissé un goût âpre, la mentionner provoque des grimaces chez tout le monde. Chiron fouille dans le sac d’Andoria pour y dénicher un peu plus d’eau. Il prend trois grosses gorgées d’une bouteille. La première pour nettoyer sa gueule. Les deux autres pour s’hydrater. C’est calculé.

Il décide de monter l’aéronef au-delà des montagnes pour pouvoir se situer et tracer une trajectoire à vol d’oiseau, si possible vers la fenêtre de l’appart. Les trois sont debout, plus ou moins droits, mais debout, affichant une mine de mort vivant. La montgolfière continue son ascension. Il commence à faire froid et l’air se raréfie. Le claquement de la jupe de la montgolfière devient énervant.

Andoria s’assied abruptement et mollement au fond de la nacelle et s’évanouit. Ganymède la secoue afin de la réveiller. En vain. Ou presque. Elle ouvre les yeux et répond que tout ce qu’elle veut c’est dormir, mais une envie lui vient et, malgré le regard de ses amis elle fonce vers le seau pour y pondre un flot de… et ça pu. La pauvre. Elle est atteinte durement. Elle utilise les derniers essuie-tout et se laisse tomber de nouveau, avec lourdeur, dans son coin, enveloppée de sa cape.
— Elle se déshydrate, il nous faut plus d’eau, s’inquiète Chiron activant la montée pendant que Ganymède vide le seau par-dessus bord.

La montgolfière est maintenant au-dessus de la pointe de montagne la plus courte. Mais ils ne sont pas au-dessus de tout, car les conditions y seraient intolérables. Ganymède relève le visage dans le vent, respire à plein nez ouvrant grand ses yeux. Tel un mirage il aperçoit au loin une construction.
— Un château ! crie-t-il d’un ton sec, rocailleux, mais enthousiaste.
Chiron dirige l’aéronef vers la royale construction qui semble émerger tout droit d’un livre de contes de fées. Le château arbore un toit pourvu de meurtrières, des tours sveltes parsemées de longues et étroites fenêtres. Les deux qui se sentent mieux, regardent l’endroit prometteur et ne peuvent s’empêcher de rêver d’un bain chaud, d’une nuit dans un lit moelleux, d’un repas somptueux et de plantes médicinales pour guérir Andoria. Le scénario est souhaitable, mais pas nécessairement réaliste, ils le savent. De toute façon, qu’est-ce qui est réaliste dans un tel univers ? Tous les scénarios sont possibles et les idées fermentent assurément dans la tête de Ganymède. Ce dernier fait part de ses réserves.
— Heu, ne devrait-on pas faire le tour du château avant de décider d’atterrir, si nous voulons atterrir? Seront-ils accueillants?
— D’accord, approuve Chiron.
Ganymède prend le pouls d’Andoria.
— Son cœur est un peu faible, note-t-il d’un ton dubitatif.

À leur arrivée au-dessus des jardins, côté est, une dizaine de personnes, dont plusieurs enfants, se ruent vers eux en leur envoyant la main. Ganymède prend confiance.
— Ils m’ont l’air fort sympathiques.
Ces gens courent dans les sillons d’un vaste terrain rempli de cultures variées. Ils leur font signal d’atterrir à un endroit précis, sur une culture quelconque. Chiron obtempère et atterrie l’engin tout en douceur tandis que Ganymède ajuste son armure.


DEUXIÈME PARTIE

L’ARRIVÉE AU CHÂTEAU

Disponible sur demande

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